Je me souviens : parole à la rue
Il arrive que des gens vous
parlent dans le métro. Et vous
racontent leur jeunesse punk (ou pas)
Le métro occasionne parfois des rencontres légendaires (Donoma, 2012) |
Samedi,
16h. Dans le métro, ligne 7, en route pour l'université. Dehors, il
fait un temps de chien, le ciel déployant ses 50 nuances de gris
sans pitié aucune. A l'intérieur de la rame, les nuances de gris
s'étalent tout autant sur les visages, dans cet entre-deux inutile
qu'est le milieu d'après-midi. Un idéaliste résiste à cette
invasion de mélancolie, et ce n'est pas celui que vous croyez..
Alors
que je dévore un livre sur le punk pour un travail universitaire, un
vieux clochard s'assoit à côté de moi, une cannette de bière à
la main. Manifestement intéressé par le contenu de cet objet
quadri-dimensionnel, il entame derechef la discute : « Les
Ramones.. trop commercial..», avant d'aborder le cas épineux
McLaren, inventeur/récupérateur proclamé du punk : « le
punk, c'était un coup de Malcolm Mc Laren.. Tout ça n'est pas
arrivé par hasard, quoi qu'on en dise. Il savait très bien ce qu'il
faisait ». Je tourne la page, son regard s'illumine : « Siouxie
and The Banshees ! Ca, c'était vraiment bon..Du vrai punk ! ».
Comme quoi, on peut en apprendre autant en écoutant un vieux clodo
qu'en lisant Greil Marcus.
Malgré une apparence d'aucuns jugeraient repoussante, les clodos ont un tas de trucs à nous raconter. |
A
entendre la passion dans sa voix, et au regard de son look de vieux
punk sans concession, qui a fini dans la rue, je lui demande, animé
d'une vive curiosité : « T'étais où en 76-77 ? A
Londres ? ».
Malgré des trous de mémoires évidents,
rapport à l'alcool mais aussi tout simplement à son âge avancé,
le vieux briscard creuse alors la boite à souvenirs: « Ouais,
j'étais à Londres ! Comme c'était la mode, j'ai vécu un peu
comme un punk. Le look, les concerts et la dope, mais c'était pas
mon truc.. ». Surpris, je lui rétorque : « Ah
ouais ? C'était quoi ton truc ? ». Il m'explique :
« j'ai toujours été plus tourné vers le psyché.. Jefferson
Airplane, Grateful Dead.. ». Le genre musical que les punks
conchiaient ouvertement.. Pas rassasié, je veux en savoir plus :
« Ah cool ! Tu les as vu en concert ? ». Dans
son élément, le regard extatique, il se rappelle : « Ouais,
3 fois même ! Je me souviens d'un concert mémorable en
Allemagne.. ».
Plus fort que le Punk : le DEAD |
Alors qu'il reprend une gorgée de bière
premier prix, je continue mon petit interrogatoire : « A
Berlin ? Hambourg ? ». Il hoche la tête :
« Non, non.. Hum.. ». J'essaye alors de l'aider :
« dans le sud ? ». Bingo, l'intéressé jubile :
« ouais ! C'était en Bavière, vers Munich.. ».
Censier-Daubenton : l'heure pour moi de saluer mon ami de
passage : « c'était cool ! A bientôt sur la ligne
7 ! ». Alors que je sors de la rame, je l'entend entonner
un titre culte du Dead : « Such a Box of Rain ! »,
pendant que ses voisins se vident la tête en jouant à Candy Crush.
Comme disait l'autre, il en faut peu pour être heureux.
Box Of Rain, Grateful Dead